Stung Treng

 

Le Cambodge est aussi puissant que la forêt sauvage disloquant lentement les murailles des temples : création et destruction, linga et yoni , les principes fondateurs mâle et femelle qui président à toute civilisation en cette terre d’Asie. Car le dualisme sacré de Shiva perdure encore chez les Khmers !

Ici, là où la rivière Sékong se jette dans le fleuve Mékong, la largeur du fleuve atteint plusieurs kilomètres.

Ici, on cultive l'hévéa, le tabac, le poivre de Kâmpôt, la citronnelle, le pavot, l'opium, la jacinthe et le liseron d'eau, le gingembre.

Ici, les petits vendeurs ambulants proposent des brochettes de grenouilles, des vers grillés, des chenilles et des beignets de fourmis rouges.

Ici, les maisons sont haut perchées sur leurs pilotis, entre lesquels on suspend les hamacs, et où le buffle, les poules, les chiens et les chèvres trouvent de l'ombre.

Ici, les écoliers portent l'uniforme, et vont à l'école en vélo.

Ici, on oublie de nous dire que les visas sont gratuits pour les enfants, mais les 90 dollars que nous avons payés ne seront pas perdus pour tout le monde...

Ici, des grappes d'enfants des rues nous suivent pour nous vendre leur artisanat.

Ici, nous sommes dans le pays où il y a le plus d'ONG au monde, et il s'en ouvre une nouvelle chaque jour.

Ici, les bonzes, qui ont pourtant fait voeu de pauvreté et de détachement de toutes contingences matérielles pour accéder à une plus haute spiritualité, sortent volontiers des plis de leur robe safran une tablette ou un smartphone dernier cri...

Ici, on tient à 5 ou 6 sur un scooter, ou alors on y charge les cochons, les poules, les œufs, la télé, un tronc d'arbre, un frigo...

Ici, la chaleur est telle que la peau est moite en permanence.

Ici, malgré des plaies de guerre béantes, le sourire est sur tous les visages.

Ici, les geckos courent sur les murs, et les moustiques sont affamés !

Ici, nous nous sommes sentis chez nous, et c'est le cœur gros que nous passerons demain la frontière laotienne...

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Angkor, about love

Pour le troisième et dernier jour, le tuk tuk nous a accompagnés sur les sites archéologiques, où nous avons arpenté le Palais royal d'Angkor Thom, ainsi que les temples de Neak Pean, Ta Som, Mebon oriental, Banteay Samre, et Pre Rup. L'immense territoire sur lequel sont disséminés les vestiges a été entièrement déminé, tourisme oblige, et organisé en un petit et un grand circuit pouvant être effectués en un ou deux jours, plus des temples, cités et groupes de bâtiments plus éloignés, hors circuits donc, sensés être d'intérêt mineur, et souvent antérieurs, mais ayant l'avantage d'être relativement épargnés par l'afflux massif de cars de touristes du monde entier.

 

Il a fait particulièrement chaud aujourd'hui, une touffeur moite et suffocante, pas un souffle d'air entre les vieilles pierres, sur les visages et épaules des apsaras, sur les éléphants tricéphales, le trident de Vishnu, les paires de bras de Shiva, le chignon du Bouddha ou le pagne de Brahma, ni sur les écailles de grès des nagas, longs serpents à 7 têtes dont le corps est utilisé comme une corde pour baratter la mer de lait. Nous avons apprécié de reconnaître les lieux déjà visités, de commencer à comprendre l'organisation géographique des antiques cités khmères, de différencier à l'architecture, au materiau utilisé ainsi qu'aux représentations sculptées les périodes de construction ; avons admiré la vue sur la jungle au sommet de pyramides dont l'ascension, sous le soleil brûlant, se méritait, et nous sommes abîmés dans la contemplation plus ou moins silencieuse des lieux... La mousson, averse courte, chaude et violente, a attendu que nous soyons rentrés pour déverser ses flots rageurs sur la ville poussiéreuse et somnolente, faire tintinabuler ses grosses gouttes fumantes sur les toits de taule, et creuser des ornières boueuses dans la terre des rues et ruelles...

 

Demain, 6 heures de bus nous attendent jusqu'à Steung Treng, petite bourgade du nord au bord du majestueux Mékong, en direction de la frontière laotienne...

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Apsara dance class

Sur un coup de tête inspiré, alors que Mireille se laissait tenter par un massage khmer et thaï, j'ai pris cette après-midi une heure de cours de danse apsara... Avec toutes les magnifiques nymphes de pierre des temples angkoriens en tête, et forte des deux spectacles admirés (ballet royal khmer à Phnom Penh et adolescents de l'association Krousar Thmey à Siem Reap), j'ai poussé la porte d'une salle de danse au parquet ciré, un mur couvert d'un miroir et des barres courant le long des autres. Jusque là... je connais. Surprise... je suis la seule élève ce jour. Qu'à cela ne tienne, je vais profiter de mon cours particulier ! D'abord revêtue du traditionnel sarong, un rectangle de tissu de trois mètres de long, enroulé autour de la taille, puis plié, roulé, passé entre les jambes, et retenu par une ceinture dorée ornée de motifs sculptés, je découvre que même l'échauffement n'a rien de commun avec celui de la danse classique, qui m'est plus familière. Les poignets, phalanges, chevilles et cou sont mis à contribution... Ensuite, j'apprendrai successivement la danse de la bénédiction de bienvenue, dans laquelle les danseuses sèment une pluie de pétales de fleurs sur le public, puis la danse de la noix de coco, qui s'exécute habituellement en couple. Je répète d'abord la mélodie, difficile initiation à des sons et à un rythme qui me sont parfaitement inhabituels, puis nous y associons les gestes, et l'étrangeté s'en mêle... Après plusieurs répétitions au son de nos voix, mon professeur me demande de recommencer en musique, et le rythme, d'abord lent, pour ne pas dire langoureux, accélère rapidement, jusqu’à ce que je ne sente plus mes articulations ! J'ai appris la technique et la symbolique de 9 postures des mains, alors que le répertoire khmer compte pas moins de 4 000 postures codifiées... Quoi qu'il en soit, ce cours de danse traditionnelle khmère restera un moment drôle et doux, une autre façon d'appréhender la culture millénaire de ce pays au charme immense.

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Histoire de pierre : deuxième jour sur le site d'Angkor Wat

Sans guide cette fois, et durant plus de 9 heures, nous avons arpenté les temples majestueux et les cités de pierre séculaires... En prenant le temps de jouer aux explorateurs dans les dédales de constructions en plus ou moins bon état, pour admirer ici des bas reliefs finement sculptés, là les racines noueuses d'un fromager ayant fait éclater les blocs de pierre, ici encore, une famille de macaques jouant à cache cache entre deux linteaux gravés de toute beauté, des papillons multicolores virevoltant dans la chaude lumière du début d'après midi, un serpent avalant une grenouille encore coassante, ou des nuées d'oiseaux multicolores et piaillants... Nous avons moins cherché à comprendre l'histoire de ces lieux magiques, leur usage et les subtilités de leur architecture, pour nous imprégner davantage de l'ambiance qui se dégage de ces lieux, le mystérieux silence qui enveloppe les ruines, la nature tropicale qui a repris ses droits, en dehors du flot des groupes de visiteurs, comme à l'écart de notre civilisation actuelle...

 

Nous sommes tout de même retournés approfondir les sites d'Angkor Wat et d'Angkor Thom (temples du Bayon et du Baphuon, esplanades des éléphants et du roi lépreux), prenant le temps d'admirer les bibiothèques de pierre (stèles gravées en khmer et sanskrit), stupas, tours et représentations cosmogoniques (le mont Meru, demeure des dieux, comme l'est l'Olympe chez les grecs, ainsi que les baray, réservoirs d'eau artificiels symbolisant l'océan cosmique). Mireille nous a offert une bénédiction bouddhique, le nouage d'un petit bracelet de coton coloré au poignet par un bonze, avec des chants psalmodiés.

 

Mais ce que nous avons préféré, je crois, après l'émotion de fouler des lieux aussi incroyables, c'est la visite de temples mineurs, comme Preah Khan, plus éloignés de la ville actuelle, davantage noués, comme intimement, à la jungle environnante, respirant la paix, et propices à la méditation et à des émotions peut être plus intimes.

 

Aujourd'hui, repos à l'hôtel, où nous profitons d'une petite piscine bienvenue après les journées torrides et harassantes de visites, activités scolaires et créatives, lecture et écriture... avant d'aller se perdre dans la poussière de Siem Reap.

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Angkor... et toujours

Nous l'attendions depuis si longtemps... Nous avons rencontré aujourd'hui le site époustouflant d'Angkor, véritable joyau culturel et témoignage de la grandeur de l'homme. Un moment d'émotion pure... La visite du site, classé au patrimoine mondial de l’humanité par l'UNESCO depuis 1992, se mérite : des kilomètres à parcourir une jungle dense et torride dans laquelle nous voyons jouer les singes (comme à Tikal...), sous une chaleur harassante et un soleil de plomb... Mais Angkor est une rencontre viscérale, la cité entre par la peau, se respire, imprime au coeur un rythme à la fois serein et effréné... Sur plus de 400 km carrés, les cités des anciens royaumes khmers se déploient, où a vraisemblablement vécu jusqu'à un million de personnes entre le Ier et le XVème siècle, entre les retenues d'eau artificielles, les temples et les habitations plus modestes, alors construites en bois et en paille, et que le temps a englouties... Seules, demeurent les pierres. Du grès et de la pierre volcanique. Gris et rouge. Verdâtre aussi, lorsque l'humidité imprime sa marque au témoignage de pierre. Partout, des dentelles de pierre, des visages, des bouddhas, des apsaras, des bas reliefs, des frises... un livre à ciel ouvert, pas un centimètre carré qui n'offre au visiteur la narration émouvante d'une vie quotidienne à la fois proche et lointaine, une bibliothèque vivante. Car les lieux sont vivants. Propices à la méditation. On y croise des bonzes par centaines, des adolescents novices en robes safran aux moines à la robe grenat, pieds nus et le crâne rasé, dans une esthétique puissante ! Même l'ininterrompu défilé des touristes (trois millions de visiteurs par an, quand même !) ne parvient pas à ôter aux lieux leur puissance magnétique et leur charme mystérieux. Car les énigmes demeurent, qui entourent le site de nombreuses hypothèses archéologiques. Outre la lecture des murs des cités, des écrits chinois du XIIIème siècle permettent de mettre en lumière un certain nombre d'éléments d'histoire, et les archéologues français ont également contribué, alors que le Cambodge était sous protectorat et depuis, à l'analyse des lieux. Mais c'est bien ce qui fait le charme et le mystère de ces cités enfouies dans la jungle : le secret des visages souriants semble appartenir pour toujours à la forêt...

 

Le site présente un certain nombre de constructions assemblées sur des étendues importantes et éloignées les unes des autres, qui nécessitent d'être véhiculé. Pour nous immerger davantage encore dans les subtilités de l'histoire du bouddhisme et de l'hindouisme, ainsi que dans ses traductions architecturales et cultuelles, nous avons fait appel aux services de Boret, un guide francophone, inépuisable et passionnant. Nous avons donc visité aujourd'hui Angkor (royaume en langue khmère) Wat (temple), Angkor Thom (le temple du Bayon), Ta Prohm et Banteay Kdei. Plus de 8 heures à arpenter ce lieu chargé d'histoire, à caresser du regard les témoignages de pierre laissés par des hommes d'un autre temps, à admirer les blocs de grès dans leurs écrins de racines nouées, véritables étreintes végétales des fromagers, banians et ficus, mortel baiser du bois à la pierre. Demain, le tuk tuk qui nous a accompagnés à l'entrée de chaque groupe de bâtiments et attendus à la sortie passe nous prendre de nouveau, afin que nous puissions explorer plus avant les temples, davantage flâner au coeur des lacis de ruelles labyrinthiques et tas de pierres non encore restaurées, salles de danse et de prière... Nous irons jusqu'aux plus petits temples, moins importants en termes historiques, plus éloignés de Siem Reap aussi...

 

Et puis, il serait dommage de passer sous silence le spectacle frais, joyeux et coloré par lequel nous avons terminé la soirée : ce sont les enfants et adolescents de l'ONG Krousar Thmey, musiciens non voyants, danseurs mal entendants et marionnettistes mutilés par les mines anti personnelles qui ont fait revivre pour nous ces arts renaissants...

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Chong Khneas, village flottant sur le lac Tonlé Sap

Et voilà,  nous avons cueilli Mireille à l'aéroport cette nuit, et allons voyager un mois à 6... L'excitation montait depuis quelques semaines déjà à cette perspective, sa venue représentant comme "un petit morceau de France"... Pour lui permettre d'aborder en douceur le changement d'univers, on s'était dit qu'une promenade sur le Tonlé Sap était toute indiquée... et avons opté pour le village flottant de Chong Khneas, malgré l'afflux touristique et l'organisation qui en découle... Nous avons vécu une journée mitigée : sur les merveilleux paysages lacustres, pour la première fois au Cambodge, nous avons ressenti la gêne du voyeur en traversant les pauvres maisons de tôle et de bric et de broc flottant sur les eaux marrons du grand lac, en refusant aux grappes d'enfants dépenaillés les aumônes qu'ils réclamaient, en accomplissant le tour typique du parfait touriste, avec pause à la ferme aux crocodiles, photo (pour Arthur) avec un python autour du cou... Les quelques heures sur l'eau restent follement agréables, la paix se dégageant de ce beau lac étant tangible, le village, source d'émotions esthétiques puissantes, et les explications de notre conducteur de barque anglophone, passionnantes... 

 

Le grand lac et sa vaste ceinture de forêts inondable est le dernier refuge en Asie du Sud-Est pour de nombreux oiseaux d’eau menacés comme le pélican à bec tacheté, le grand et le petit marabout, l’ibis à tête noire et le tantale indien (une espèce de cigogne). Ils nichent dans les zones les plus préservées de la forêt inondable, essentiellement dans l’aire de Prek Toal (portion nord-ouest du lac), formant d’impressionnantes colonies de plusieurs milliers de couples de plusieurs espèces durant la saison sèche. D’autres espèces menacées y habitent comme le pygargue à tête grise et le singulier et méconnu héliornis asiatique, sorte d’hybride de canard et de poule d’eau. Aux basses eaux, des armadas de guifettes moustac, de cormorans et d’aigrettes picorent à la surface, plongent ou harponnent la grande manne de poissons du lac. Le milan à tête blanche, le balbuzard pêcheur et cinq espèces de martins-pêcheurs se rencontrent dans les méandres de la forêt. En fin de saison sèche, lorsque le lac se rétracte, des limicoles en migration se joignent aux nuées de hérons, crabiers et aigrettes et autres échassiers barbotant dans la boue de ses berges découvertes. Enfin, de récentes recherches à la frange orientale de la zone inondée du Tonlé Sap ont identifié la plus importante population au monde d’une rarissime espèce d’outarde dénommée le florican du Bengale. Seuls 400 de ces oiseaux étaient auparavant connus en Inde et au Népal. Ces prairies naturelles abritent aussi l’aigle criard et impérial, et les quelques derniers survivants d’une espèce autrefois commune mais aujourd’hui au seuil de l’extinction, l’ibis noir.

De retour à Siem Reap, nous flânons dans les allées étroites du "old market", entre tissus colorés, reproductions de la statuaire angkorienne, épices variées et odorantes, fruits et légumes, volailles et poissons, bazar...

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Siem Reap et son musée national, une plongée au cœur de l'antique culture khmère

A l'instar de celui de Phnom Penh, le musée d'archéologie de Siem Reap est une merveille qui nous a permis d'approfondir nos connaissances sur la culture khmère. Outre une sublime salle des Mille Bouddhas, qui rassemble, ainsi que l'indique son nom, plus d'un millier de statues courant sur une période de plus de 1 500 ans, en des matières toutes plus nobles les unes que les autres, les immenses galeries chronologiques de ce superbe bâtiment, un tantinet démesuré, présentent 15 siècles d'histoire. A la différence des autres civilisations de bâtisseurs, tels les Incas, les Mayas, les Aztèques, les Grecs, les Romains, le Egyptiens... les arts et cultures khmers se sont déployés sur une période très longue, découpée par les archéologues en trois temps majeurs. La période pré-angkorienne s'étend du Ier au VIIIème siècle, la période angkorienne du IXème au XIVème siècle, et la période post-angkorienne, à partir du XVème siècle. Au fil des siècles, les influences indienne et chinoise ont été importantes, qui ont amené les rois successifs de l'empire khmer à pratiquer et développer l'hindouisme, le bouddhisme mahayana, et enfin le bouddhisme theravada. Il est désormais difficile de dissocier ce qu'il en est de l'histoire, de l'architecture, de la littérature, de la religion, des pratiques sociales, culturelles, d'agriculture, d'irrigation, des croyances animistes... pour appréhender ce peuple à la culture immense, aux connaissances approfondies, aux arts raffinés... Richesse incommensurable, mais également complexité sans nom, que de prétendre s'initier un tant soit peu à tout cela, afin de mieux comprendre le Cambodge et les cambodgiens...

 

Nous nous sommes donc immergés dans la passionnante visite des statues, sculptures, vestiges de stèles (inscriptions en sanscrit et en khmer) et de bas reliefs, frontons, colonnes, hauts-reliefs et gravures... Les enfants, qui rêvent de connaître le Louvre, n'ont cessé de nous demander si ce musée était plus petit ou plus grand que leur référence française, afin de réajuster leur représentation et leur échelle de grandeur et de magnificence... Dans deux jours ce sera la visite des temples d'Angkor, nous sommes prêts !

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Le lac Tonlé Sap, son écosystème unique au monde et ses villages flottants

Le Tonlé Sap, dont le nom signifie en khmer "grande rivière d'eau douce", est la plus grande réserve d'eau douce de toute l'Asie du Sud-Est. Ce lac, situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Siem Reap, est unique au monde en raison de son système hydraulique. Il se vide et se remplit au gré des moussons. Le fleuve, qui porte le même nom que le lac, inverse donc son cours deux fois par an. Sa superficie passe de 3 000 km  carrés pendant la saison sèche à 13 000 km carrés pendant la saison des pluies. Ce phénomène aquatique est célébré dans la capitale par le Bonn Om Tuk, une fête de l'eau qui donne lieu à des courses en bateau. Le Tonlé Sap a été désigné comme Réserve de Biosphère par l'UNESCO en 1997, pour sa valeur écologique, économique,  sociale et culturelle. 

 

Tout autour du lac et sur ses eaux, des villages de maisons flottantes s’adaptent à l’environnement changeant, en fonction des saisons. Ce lac est particulier, car il sert de régulateur au fleuve Mékong. Le sens de l’eau, qui s’inverse au cours de l’année, sert ainsi de valve de sécurité contre des inondations inhabituelles. Le Tonlé Sap est également un énorme réservoir de poissons, assurant ainsi l’alimentation à une bonne partie de la population cambodgienne. Les plaines inondables qui le bordent sont exploitées en riziculture, et des centaines d'espèces d'oiseaux, parfois uniques au monde, y vivent. Il est considéré comme étant l’une des zones les plus productives au monde. Il est le régulateur naturel du Mékong, cet énorme corridor fluvial qui arrive du Tibet avant de descendre 4 400 km à travers l’Asie du Sud-Est (Chine, Laos, Cambodge, Viêt Nam) pour se jeter dans la mer de Chine au Viêt Nam. 

 

Nous avons eu la joie de visiter Kampong Pluk, un village lacustre non pas flottant, mais construit sur pilotis. Nous sommes en saison sèche (bon, nous, on trouve que la chaleur ici est quand même très humide !), et avons donc pu observer les 7 mètres de hauteur de ses maisons perchées. Une rangée de maisons échassiers borde ainsi la rivière brune jusqu'au ventre du lac, et une deuxième, parallèle, dessine l'unique rue du village. C'est dimanche... Au coeur de l'après midi, tout au long de notre promenade en barque à moteur sur la rivière, des groupes d'enfants nous saluent de la main, tout en plongeant, nus et cuivrés, dans l'eau brune du lac... Eclats de rire, courses et éclaboussures, jetés de filets, relevés de nasses, marmots manoeuvrant de petits bateaux de bois à fond plat, regards audacieux et sourires lumineux, frimousses épanouies... Nous sommes sous le charme ! Un peu plus loin, alors que nous arpentons la rue poussiéreuse creusée des ornières de la dernière pluie, des grappes d'enfants viennent chercher les nôtres, tandis que les adultes remaillent les filets dans les hamacs suspendus sous les maisons. Ils nous escortent jusqu'au temple, où des adolescents, apprentis moines, palabrent en robes oranges sous les fresques dorées et les bouddhas de pierre, puis, traversant une fragile passerelle de bois au dessus de la rivière, jusqu'à l'église, elle même sur pilotis. Nous jouons un instant au ballon avec eux, puis au palet, achetons des cahiers au profit de l'école, dont nous visitons l'extérieur, et avons du mal à quitter ces villageois à l'accueil si chaleureux, aux sourires si touchants et gracieux...

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Apsara, la grâce et la poésie de la danse traditionnelle khmère et du Ballet Royal du Cambodge

Les Apsaras sont les nymphes célestes chargées de venir chercher les héros morts au combat, elles ornent par milliers les murs et galeries des principaux temples angkoriens. D’une demi-taille humaine, elles se présentent toujours de face, leur joli torse nu dardant des seins ronds magnifiques qui, selon la tradition, doivent être caressés au passage. Au fil des siècles, cette pratique a conféré une merveilleuse patine ambrée à la pierre. Comme si l’extrême beauté de leur corps ne pouvait tolérer la grossièreté d’un autre vêtement que le pagne, les Apsaras ne sont vêtues que de bijoux ; elles en portent aux chevilles, aux poignets, aux bras, autour du cou, et sont coiffées de hauts diadèmes et de tiares. Leur sourire, empreint d’une grande sérénité, la finesse de leurs membres, la grâce de leurs gestes et du drapé de leur léger pagne, jusqu’à la délicate gaucherie qui émane de la position de leurs pieds, toujours représentés de profil, tout concourt à produire un effet de charme et d’harmonie.

 

Hier soir, c'est un moment de grâce pure, comme en suspension dans le temps... que nous ont offert les artistes du ballet Royal du Cambodge. Les arts, après avoir été anéantis par le régime des khmers rouges et leur drastique entreprise de destruction, grâce à l'initiative de quelques uns, renaissent ici, dans la plus pure tradition khmère, ou bien dans leur expression contemporaine, sur une scène différente. Au Musée National, nous avons eu le privilège de les admirer, au son d'un orchestre traditionnel accompagné de deux voix féminines et d'une voix masculine, évoluer dans des costumes somptueux, littéralement cousus sur les corps des danseurs. Visages très maquillés, blanchis à la poudre de riz, yeux soulignés de noir par le khôl, très expressifs et souriants, coiffes cousues d'or et de fleurs, vêtements brodés de soie et de fils d'or... Les cous, pieds, mains, doigts des danseurs semblent pourvus d'articulations là où les nôtres, occidentaux, semblent bien peu aptes à la souplesse et à la grâce...

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D'ombre et de lumière

Hier, avec la visite du musée de Tuol Sleng, nous avons plongé au coeur de l'horreur... Les années sombres de l'histoire du Cambodge sont racontées dans ce lieu atroce avec beaucoup de sensibilité. Et de la sensibilité, il en faut, pour supporter la narration de ces 4 ans (1975-1979) de guerre civile, supporter la vue des visages des victimes, affichés par centaines sur les murs des cellules... Cet ancien lycée construit par les Français devint le centre de détention S21 de l’administration khmère rouge. Dans ces locaux désaffectés, beaucoup de cadres du régime communiste mais aussi des milliers de Cambodgiens ordinaires furent interrogés, torturés puis exécutés. On les estime entre 12 et 20 000. Les pièces sont quasiment vides mais l’impression ressentie est sinistre et les photos exposées des victimes sont évocatrices de souffrances sans nom. Le groupe de recherche sur l'histoire du pays, attaché au musée, a eu le souci de faire de ce lieu non seulement un témoignage de l'inhumanité de ce qui se vécut là, mais également un lieu de recueillement (un stupa y est présent, pour la prière bouddhiste, ainsi qu'un mémorial, un petit cimetière et une plaque de l'UNESCO, attestant de la valeur de ces épisodes atroces pour la mémoire de l'humanité toute entière), de recherche et d'exposition. On ne sort pas indemne de cette visite... qui nous a beaucoup rappelé celle de la Carcel 21, lieu de détention et de torture du régime sandiniste au Nicaragua... L'évocation des Killings Fields, ces champs où étaient ensuite conduits les prisonniers, qui ne devaient en aucun cas mourir durant leur détention sous peine de "rater leurs aveux écrits de culpabilité ",  pour y être exterminés et entassés dans des fosses communes, est à peine soutenable... Plus de 300 de ces charniers ont été recensés dans le pays, et d'autres ont été ensevelis par la jungle, qui ne seront sans doute jamais découverts...

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Phnom Penh, une ville capitale

Lumière, c'est le mot qui me vient à l'esprit pour qualifier mes impressions de cette première journée dans la capitale cambodgienne. Celle du soleil, écrasant. Celle du fleuve, majestueux, qui m'évoque un peu le Nil... Celle du regard des cambodgiens, vive et franche. Un monde s'ouvre à nous. Un monde en chemin. 

 

Le Musée national se trouve à deux pas du Palais Royal et de la Pagode d'argent, non loin des eaux marrons du Tonlé Sap. Chef-d’œuvre de l’architecture khmère traditionnelle, l’ex-musée Albert-Sarraut fut construit pendant la Première Guerre mondiale d’après des plans établis par Georges Groslier. L’ornementation architecturale fut réalisée par des artisans cambodgiens. Les sculptures des portes et des fenêtres sont d’inspiration khmère classique. Lors de son inauguration, le 13 avril 1920, le musée abritait plus de mille pièces : bronzes et bas-reliefs provenant des temples d’Angkor, costumes traditionnels, bijoux, armes, monnaies diverses et céramiques, palanquins. En 1975, l’inventaire en répertoriait plusieurs milliers, lorsque le pays fut plongé dans la guerre et le musée livré au pillage puis à l’abandon. Aujourd’hui, nettoyé et repeint, partiellement restauré et purgé de ses chauves-souris, le Musée national offre à nouveau ses collections aux regards des visiteurs. Les deux superbes têtes d’éléphant en bronze qui gardent la porte d’entrée proviennent de l’ancien monument aux morts cambodgiens de la guerre 1914-1918, détruit par les Khmers rouges.

 

Puis nous dirigeons nos pas vers Wat Phnom. Selon la légende, c’est là que Dame Penh déposa les images en bronze de Bouddha et la statue de Preah Noreay trouvées au creux de l’arbre dérivant au gré des flots. Le Wat Phnom domine la ville d’une hauteur de 27 m. On y trouve un stupa, un pavillon et une pagode. Le stupa contient les cendres du roi Pona Yat, bâtisseur de la ville. La pagode, construite par les Chinois et les Vietnamiens, est dédiée à Thien Han Tanh Man, déesse protectrice des pêcheurs. Le pavillon contient une statue de M me Penh. Rénové en 1998 avec le concours financier (180 000 $ tout de même !) de l’Association internationale des maires francophones. L’ensemble est une réussite : les voies d’accès ont été repavées en latérite, le stupa a été repeint et l’on a même replacé une statue du roi Sisowath à côté de la plaque célébrant le traité de rattachement au Cambodge de la province de Battambang (1907). Si la fumée d'encens y est lourde et dense, qui donne à Samuel et Arthur l'occasion de ramasser tous les bâtonnets tombés sans brûler, l'ambiance est assez différente de celle des temples vietnamiens. Les peintures du plafond sont de toute beauté, dans les tons de bleu, et les statues de bouddha magnifiques. 

 

Nous essuyons un violent orage, dont le bénéfice, outre de voir jouer les enfants, nus, dans les ruisseaux et torrents qui se forment dans les rues, est de faire baisser la température ambiante d'au moins dix degrés. De quoi nous ragaillardir, et nous donner l'énergie nécessaire pour arpenter encore la grande ville, en direction du marché central. Appelé Phsar Thmey en cambodgien, cet immense marché est l'un des édifices les plus connus de la ville. Construit dans les années 1930, en jaune et blanc, couleurs très en vogue à l'époque, il est un magnifique exemple d'architecture Art déco du Cambodge. Les plans furent confiés à l'architecte français Louis Chauchon, lequel dut tenir compte des contraintes climatiques de la région, à savoir le soleil et la pluie. Ainsi, le marché est constitué d'un dôme de 26 mètres de hauteur, et prolongé par 4 ailes de 19 mètres de hauteur. La construction fut achevé en 1937 et c'était alors l'un des plus grands marchés du monde. Il est aujourd'hui en activité et a fait l'objet d'un plan de rénovation entre 2008 et 2010, financé par l'AFD (Agence Française de Développement).

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Cambodge, au royaume du sourire

Après un marathon pour quitter la République Socialiste du Viêt Nam, nous voici chez son frère ennemi, le Royaume du Cambodge. Nous nous attendions à seulement changer de langue, tout en gardant une certaine continuité de paysages... En fait, dès le passage de la frontière (épique, nous sommes épuisés par l'énergie déployée à lutter contre la corruption, à tous les niveaux), les différences sont majeures : architecture tarditionnelle khmère, couleur de peau, fruits sur les étals, petits véhicules à 2, 3, 4... 5 roues... Le thermomètre grimpe encore d'un cran, atteignant les 50 degrés... Le métissage est visible, les khmers, thaïs, cham, chinois, vietnamiens, se croisent, tandis que les enfants se retournent sur les moines et bonzes,  tout de orange vêtus...

 

Avant même de poser nos sacs à l'hôtel, nous arpentons les rives du majestueux fleuve Tonlé Sap jusqu'à sa confluence avec le Mékong, d'une largeur impressionnante... Et je me prends à rêver du Gange... Nous nous mêlons avec bonheur à une foule bigarrée et turbulente, écoliers en uniforme jouant bruyamment, vendeuses de fleurs et de fruits, petits vendeurs d'oiseaux encagés, familles en goguette, bonzes photographes (et photographiés...), pêcheurs rattrapant l'anguille qui vient de leur échapper sur les premières marches du bord du fleuve, hommes se baignant dans l'eau boueuse, au ventre du Mékong, bateliers en tous genres, fervents bouddhistes venus allumer l'encens et prier dans les temples le long du fleuve, touristes occidentaux ou chinois cherchant du regard le Palais Impérial, mendiants et atrophiés demandant l'aumône, groupes s'exerçant à la musculation sur les appareils disposés dans les parcs, ou participant à des cours de taï chi et de qicong, ...

 

Phnom Penh, capitale d'un petit pays à l'histoire douloureuse, accueille le visiteur par une explosion de vie truculente et raffinée à la fois, terre de contrastes sans aucun doute, de chaleur et de douceur, premières émotions esthétiques, foisonnement de ce qui se donne à voir, à respirer, à écouter, à goûter... promesses qui insistent, vision d'une ville capitale qui se croque à pleines dents, malgré les ruines, les mines, le génocide fratricide, le peuple exsangue, la menace de perte d'identité culturelle...

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